Le projet de loi Dussopt vise à porter le coup de grâce à la Fonction publique

La Fonction publique a déjà été affaiblie par le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux de l’ère Sarkozy. À l’époque, le gouvernement appelait cela la « RGPP » (révision générale des politiques publiques). Cette politique a été poursuivie sous le gouvernement Hollande, en changeant juste de nom pour s’appeler « MAP » (Modernisation de l’Action Publique). Le gouvernement Macron a décidé d’amplifier cette casse des services publics avec la loi Dussopt.

La Fonction publique d’État a ainsi perdu 10% de ses effectifs depuis 2005 et on recense aujourd’hui 185 000 contractuels en plus sur les trois fonctions publiques. Entre janvier 2000 et aujourd’hui, le gel du point d’indice a induit une baisse de 18 % du pouvoir d’achat des fonctionnaires. Conséquences de ces politiques : moins de service public pour les administrés, précarité, souffrance au travail et « burn-out » pour les salariés.

Mais le gouvernement veut aller plus loin et plus vite, il a déposé le 27 mars sur le bureau de l’Assemblée nationale le projet de loi de transformation de la fonction publique qui sera examiné en procédure accélérée dont l’avant-projet, présenté aux fédérations de fonctionnaires en février, avait été unanimement rejeté par ces dernières.

La volonté affichée de détruire la fonction publique

Au vu de la réaction unanime des syndicats pour critiquer ce projet, on comprend la volonté du gouvernement d’abréger les débats. Ce projet prépare le terrain pour atteindre trois objectifs :

  • diminuer le nombre de services publics et de fonctionnaires,
  • en finir avec le statut de la Fonction publique,
  • et enfin soustraire du périmètre du service public des secteurs entiers pour les transférer au privé.

Gérald Darmanin a confirmé la volonté de supprimer 120 000 postes de fonctionnaires, 70 000 postes dans la fonction publique territoriale et 50 000 dans la fonction publique d’État. Et contrairement à ce que prétendent certains, le gouvernement n’a pas abandonné cet objectif même s’il le met moins en avant.

La loi Dussopt prépare juridiquement la Fonction publique à ces restructurations d’ampleur, car il faudra bien « accompagner » tous les agents dont les services seront supprimés et elle organise en parallèle la casse du statut.

Casser les institutions représentatives des personnels et les droits des salariés pour casser le statut

Le premier axe de la loi est de diminuer les droits des salariés et leurs possibilités de recours. Comme dans le privé, depuis la loi Travail, les CHSCT et les comités techniques seront supprimés et remplacés par des comités sociaux d’administration [articles 1 et 2].

Le deuxième axe est le recours facilité aux contractuels sous deux formes : des CDI de droit privé d’une part et à de nouveaux contrats sur projets pouvant prendre fin n’importe quand, à l’appréciation de la hiérarchie, contrat d’une durée maximale de 6 ans et n’ouvrant aucun droit à titularisation [articles 6 et 7].

Le troisième axe est de modifier le statut de la fonction publique

  • en favorisant une politique de mobilité pour faciliter la suppression de certains services [articles 9, 20 à 24] ;
  • en développant les rémunérations au mérite [articles 10 et 11] totalement à la main de la hiérarchie. Alors que jusqu’à présent les représentants des personnels pouvaient avoir accès aux critères d’avancement et les contrôler au sein des Commissions administratives paritaires [CAP][1] elles sont dessaisies de la politique d’avancement [articles 3 et 12] c’est-à-dire de fait vidées de leur contenu principal. C’est l’organisation du clientélisme dans la fonction publique et la fin de l’indépendance du fonctionnaire ;
  • et en ouvrant la possibilité d’user, comme dans le privé, de la rupture conventionnelle pour les contractuels [article 24] et même pour les fonctionnaires [article 26]. Il peut même s’agit de rupture conventionnelle collective ! [La Caisse des Dépôts et Consignation cherche avant même que la loi ne soit votée à « en faire bénéficier » ses agents fonctionnaires !].

Si la loi passe, à terme cela signifie la fin du statut de fonctionnaire. On ne recrutera plus que des contrats sur projets et des CDI non fonctionnaires. Par le biais de la mobilité lors de la fermeture des services, les fonctionnaires restants seront contraints de partir ou de changer de statut. France Telecom et la Poste sont déjà passés par ces processus.

La fin des concours pour le recrutement

Mais c’est aussi, au passage, la fin des concours nationaux. En indiquant que dans l’enseignement supérieur et la recherche les concours seraient préservés, la ministre de la Recherche indique donc que pour tous les autres emplois de la Fonction publique, il n’y aura plus de concours, mais des recrutements de CDI directement par les structures locales.

Un fantasme ? Non cela a déjà commencé. Le 21 mars 2019, les députés ont approuvé la création, par voie d’ordonnance, d’un statut unique de Praticien Hospitalier [PH], associé à la suppression du concours de PH, dans le cadre du Projet de Loi « Ma Santé 2022 ».

Le concours et le statut de fonctionnaire permettaient d’assurer l’égalité d’accès de tous et de toutes à ces fonctions. Pire, cela met à mal l’indépendance des acteurs du service public à la merci de petits chefs de service qui les emploieront et décideront directement de leurs avancements [article 10 et 11 de la loi].

Transférer des pans entiers des services publics au privé

Enfin, le risque d’externalisation massive de certains services est bien réel. Un rapport remis à Gérald Darmanin par l’entreprise Webhelp[2], préconise de transférer certaines fonctions support au privé, pour économiser 35 milliards d’euros [voir ci-dessous).

À chaque fois qu’un service public a été privatisé (Telecom, Poste, EDF, GDF), les prix ont augmenté. Le résultat sera donc surtout de juteux profits pour certaines entreprises.

Cette casse des statuts rend ensuite possible une véritable privatisation d’une grande partie des services publics. Si certains croient encore que de telles privatisations auront comme conséquence une baisse de leurs impôts, qu’ils regardent leurs factures d’électricité, le prix du timbre ou celui des billets de train. Tous les exemples montrent que la privatisation des services publics, si elle permet à l’État de faire des économies, est toujours plus coûteuse pour l’usager.

Aux USA par exemple, où le système de santé est très largement privatisé, la part du PIB investi dans ce secteur est largement supérieure à celle investie par la France : respectivement 17.2% contre 11,5 %. Quant au service, il est calamiteux notamment pour les plus pauvres qui n’ont les moyens ni de payer les soins ni de payer une assurance santé privée.

Avec la crise sociale, nous n’avons jamais eu autant besoin de services publics avec des fonctionnaires indépendants pour répondre aux besoins sociaux. C’est ce que réclame FO, c’est ce que réclament les fonctionnaires, c’est ce que réclament les usagers des services publics, réclamations portées aussi par les « gilets jaunes ».

Contre cette loi, 9 fédérations de fonctionnaires dont la FGF FO ont appelé à manifester le 9 mai. Nous rendons compte de cette mobilisation dans ce journal.


[1]   Les commissions administratives paritaires sont les instances de représentation des personnels titulaires de la fonction publique, c’est-à-dire des fonctionnaires. Elles traitent des sujets relatifs aux carrières individuelles. Les représentants du personnel y sont élus pour quatre ans.

[2]   Webhelp est leader européen de l’externalisation de services notamment dans le domaine de « la relation client ».